« Tout est pardonné ». Ainsi s’annonce la « Une » de la presse française, celle-là même qui a été visée en plein cœur dans ce qu’elle a de plus cher, et qu’elle a raison de défendre, au nom des lois, décrets et règlements de la République, Une et Indivisible, fondée sur le socle des Droits de l’Homme et du Citoyen, et dont les trois piliers sont : liberté, égalité, fraternité.
La liberté d’expression, en particulier celle de la presse, existe donc bel et bien dans notre pays, et elle doit être respectée. Cependant, cette obligation de respect vaut pour tous, ceux qui se sentent offensés, et les offenseurs qui eux-mêmes se sentent offensés.
Après l’offense et les propos infamants, qu’en est-il du pardon ? « Tout est pardonné » : mais le pardon est-il reconnu dans toutes les religions ou confessions ? A-t-on le droit de pardonner, voire le devoir de le faire ? Peut-on refuser le pardon ?
Dans l’Islam, le Coran recommande le pardon. « Pratique le pardon ; ordonne le bien ; écarte-toi des ignorants »
(Coran : 7 : 199) ; « qu’ils pardonnent et absolvent ! N’aimez-vous pas que Dieu vous pardonne ? Et Dieu est pardonneur et très miséricordieux ! (Coran : 24 : 22)
Les musulmans qui ne vivent pas selon les valeurs morales du Coran pensent qu’il est difficile de pardonner aux autres. Cependant, Dieu a conseillé aux croyants le pardon comme une attitude plus correcte : « la sanction d’une mauvaise action est une mauvaise action (une peine) identique. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Dieu » (Coran : 42 : 40) […] « mais si vous les excusez, passez sur leurs fautes et leur pardonnez, sachez que Dieu est pardonneur, très miséricordieux. (Coran : 64 : 14)
Dans le Coran en effet, le pardon occupe une position morale supérieure : « et celui qui endure et pardonne, cela en vérité, fait partie des bonnes dispositions et de la résolution des affaires. » (Coran : 42 : 43) ; les croyants sont des gens qui pardonnent, compatissants et tolérants, révèle le Coran : « qui dominent leur rage et pardonnent à autrui » (Coran : 42 : 43).
L’Islam recommande donc aux croyants, comme bonne pratique, le pardon.
Qu’en est-il de la religion catholique ? Plusieurs versets de la Bible sont consacrés au pardon.
(Psaume 25:11) : « à cause de Votre Nom, Seigneur, Vous me pardonnerez mon péché; car il est grand ».
(Psaume 86:5) : « car Vous êtes, Seigneur, suave et doux, et plein de miséricorde pour tous ceux qui Vous invoquent ».
(Proverbe 28:13) : « celui qui cache ses crimes ne réussira point; mais celui qui les confesse et s’en retire, obtiendra miséricorde ».
(Matthieu : 5:7) : « bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront eux-mêmes miséricorde ».
(6:12) : « et remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent ».
(6:14-15) : « car si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos péchés. Mais si vous ne pardonnez point aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos péchés ».
(Marc 11:25) : « et lorsque vous vous tiendrez debout pour prier, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est dans les Cieux vous pardonne aussi vos péchés ».
(Luc 6:36-37) : « soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez point, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez point, et vous ne serez pas condamnés; pardonnez, et on vous pardonnera».
La théologie chrétienne a toujours pensé qu’il est du devoir de chacun de toujours pardonner un criminel, le pire fut-il, et sans condition, sauf un cas « d’impardonnabilité » mentionné dans le Nouveau Testament, et qui vise ceux qui rejettent le Saint Esprit. En effet, le Nouveau Testament considère le fait de rejeter le Saint Esprit comme une offense et un péché impardonnable : (Marc 3 : 28-30) : « Je vous le dis, tous les péchés et tous les blasphèmes que les gens prononcent seront pardonnés. Mais celui qui blasphème contre le Saint- Esprit ne sera jamais pardonné, car il est coupable d’un péché éternel ». Ce principe est réaffirmé par l’évangéliste Matthieu (12:31).
Dans la religion catholique, donc, le pardon n’est plus seulement « recommandé », il est (sauf une exception) du devoir de chacun : c’est donc à soi-même de pardonner aux autres, tout comme il leur appartient de nous pardonner nos péchés.
Et dans la religion Juive ? Les autorités religieuses juives, ont toujours enseigné que Dieu est prêt à pardonner tous les péchés qui sont commis contre Lui, même par ceux qui nient son existence (différence avec ce qui vient d’être dit du catholicisme). Ce principe est clairement énoncé dans la Mishnah : « concernant les péchés commis à l’égard de Dieu, le Jour du Grand Pardon (Yom Kippour) effectue le pardon. Concernant les péchés commis à l’égard de notre prochain, le Jour du Grand Pardon n’effectuera le pardon qu’après que nous soyons réconciliés avec la personne offensée » (Traité Yoma, 8:9.)
Il n’y a aucun doute à ce sujet : afin d’obtenir le pardon pour les péchés commis envers nos semblables, il nous incombe de nous réconcilier avec eux. Selon la loi juive, seules les victimes d’une offense peuvent pardonner à ceux qui les ont commises, car Dieu ne saurait pardonner un criminel aussi longtemps que sa victime continue à souffrir des conséquences de son crime. Seule la victime peut donc pardonner à son agresseur. Ce changement exige donc une réconciliation entre l’offenseur et la victime, pour que le pardon s’opère.
Qu’est-ce alors que le pardon, chez les Protestants ? Pour eux, la repentance et le pardon de Dieu jouent un rôle central. Dans la liturgie réformée, se situe un moment appelé l’acte de repentance ou aussi la confession du péché. C’est à ce moment que les Protestants déposent devant Dieu ces choses qui pèsent sur leur conscience et qu’ils demandent pardon à Dieu. Il s’agit donc d’une confession communautaire.
Les protestants disent que c’est Dieu , seul, qui peut accorder le pardon.
Dans le Bouddhisme, pardon et réconciliation prennent un sens tout différent des précédents. Le concept ou mot du « pardon » n’existe pas réellement ni en sanskrit ni en pali.
Le pardon et la réconciliation dans le bouddhisme ont un sens sensiblement différent que celui qu’il a dans les monothéismes. D’abord, selon les érudits, le mot même de pardon n’a d’équivalent exact ni en sanskrit ni en pali.
L’aboutissement du bouddhisme, c’est l’Eveil, c’est-à-dire de se libérer de cycles d’existences conditionnées, et les bodhisattvas subordonnent leur entrée en nirvana à la libération de tous les êtres. La loi du karma ou loi de causalité n’émane pas d’une justice divine, mais elle est naturelle. Tout acte positif aura des conséquences positives sur soi mais aussi sur les autres, tout acte négatif aussi, mais en nous entraînant dans la souffrance et vers des renaissances passées. Le pardon paraît donc la seule solution rationnelle. Le coupable devra subir la rétribution de son acte, et personne n’y peut rien, mais s’il est pardonné, la chaîne des actes négatifs consécutifs à la faute sera rompue, et celui qui aura pardonné se rapprochera de son côté de l’Eveil.
Bien que non exhaustive, car loin d’avoir abordé toutes les religions, cette petite analyse montre au demeurant que la notion de « pardon » existe bel et bien quasiment partout dans le monde, qu’elle est donc universelle, même si c’est dans son application – ou non-application – que le pardon diffère, n’étant qu’une « recommandation » pour les uns, une obligation ou plutôt un devoir pour les autres, sauf exception, une attitude positive dictée par la raison pour d’autres, dans le but d’alléger leur karma et en même temps, d’accéder plus facilement à l’Eveil, un acte volontaire de repentance et de réconciliation pour le judaïsme, qui doit suivre la confession du péché, mais qui, chez les Protestants, ne précède le pardon que parce que ce dernier n’est accordé que par Dieu, et personne d’autre. Dans certaines situations on peut donc pardonner ; dans d’autres, on ne le peut pas : seul Dieu le peut.
Cela dit dans notre religion catholique, qui incite donc à pardonner les fautes (des autres), comme on nous a pardonné (les nôtres), existe la notion d’impardonnabilité ; au reste, l’adjectif « impardonnable » figure depuis très longtemps dans tous les dictionnaires. Doit-on alors toujours pardonner ? En pardonnant, on libère sa conscience, et on la soulage d’un poids, en même temps qu’on libère une autre conscience, que l’on soulage également. Normalement selon l’Eglise catholique, le pardon serait sans limites, applicable même envers des actes criminels. Reste l’acceptation qualificative de l’impardonnabilité, très subjective, qui peut exister lorsque la douleur subie est et reste trop intense, lorsque la souffrance infligée résulte d’actes inqualifiables et d’une violence particulière et intentionnelle : il est des situations dans lesquelles il est possible de comprendre que les victimes ne puissent pas pardonner. Ne doit-on pas les pardonner justement de cela, au lieu de les en blâmer ? Les auteurs de crimes aussi atroces, ne doivent-ils pas admettre que leurs actes ne puissent pas être pardonnés ? N’est-ce pas là, aussi, « l’esprit » du pardon ?
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